C’est dans les bureaux de Grand Paris Aménagement du 19ème arrondissement que nous rencontrons l’une des personnalités préférées des professionnels de la fabrique de la ville. À La Défense, Bordeaux-Euratlantique ou dans le Grand Paris… Stéphan de Fay est un homme tout terrain en quête de dialogue.
Ressentez-vous encore de la défiance des acteurs publics vis-à-vis du privé ?
J’ai souvent entendu des acteurs publics dire d’un promoteur ‘c’est scandaleux il va gagner de l’argent’. Ça m’a toujours surpris car c’est quand même l’objectif d’une entreprise de réaliser des bénéfices, c’est même inscrit dans le Code de Commerce. J’aime bien demander à ces acteurs publics ‘Est-ce que cette opération contribue à ta propre mission ? Et est-ce que toi tu perds de l’argent dans cette opération ? Si ce n’est pas le cas alors c’est une bonne nouvelle. Chez Grand Paris Aménagement, nous avons beaucoup développé la co-promotion et la coopération avec les acteurs privés. L’une des principales raisons a été de casser la défiance qui pouvait exister. Ce n’est pas incompatible de générer de l’utilité publique et de créer de la valeur économique. Au contraire, cela fait partie de notre mission. L’aménageur qui met en œuvre une vision politique ultra-descendante avec un zonage et un calendrier sur 25-30 ans, c’est terminé. Le dialogue avec les citoyens, les entreprises et les acteurs de la société civile doit désormais primer pour simplement bâtir des villes adaptées à leurs besoins.
« Nous sommes tous d’abord des citoyens et des citoyennes. »
Comment casser cette défiance justement ?
Nous sommes tous d’abord des citoyens et des citoyennes, il faut qu’à un moment donné il y ait une rencontre. Ce sont les dispositifs humains et organisationnels qui permettent de créer de la confiance durable. Chacun doit pouvoir se regarder dans un miroir et se dire, ma raison d’être à moi, c’est ça. Et si m’allier avec un autre acteur permet d’atteindre cette finalité alors j’y vais. Et je dois dire qu’un acteur public, seul, ne sait pas faire. Le public seul, ou le privé seul, ne savent pas construire un morceau de ville durable. Nous avons besoin les uns des autres. Le développement de la co-promotion immobilière est un choix ultra rationnel, et chez Grand Paris Aménagement on a pris un parti : ce sont les équipes qui font de l’aménagement qui font aussi l’opération de co-promotion, ce qui permet de renforcer les liens humains entre nos équipes et celles des partenaires. Et c’est la même chose en matière d’aménagement. Nous conduisons par exemple des opérations de co-aménagement avec Eiffage Aménagement, notre concurrent direct certes, mais avec lequel nous partageons un réel socle de valeurs commun.
Dans cette logique de dialogue entre acteurs, vous présidez l’ « Association Filière Hors-site France», comment avez-vous réussi à fédérer les acteurs ?
Cela ne coulait pas de source. Je me rappelle une des premières réunions, les architectes étaient méfiants. On était à la tour Montparnasse au Conseil national de l’Ordre des Architectes, chaque mot était pesé au trébuchet ! Les questions décoiffaient : ‘Vous voulez tuer l’architecture ? Vous voulez revenir à la préfabrication de masse des années 60 ?’ Le sous-entendu étant ‘je ne veux pas juste mettre mon nom pour faire joli’. Il s’agissait d’un dialogue exigeant.
Au XXIème siècle, il faut entièrement repenser la manière de coopérer des acteurs impliqués dans l’acte de construire. La baisse structurelle de la productivité dans le monde du bâtiment
(-10% de productivité en 15 ans vs. +100% dans l’industrie dans le même temps) nous a poussé à nous plonger dans la question du hors-site. Il y a peut-être d’autres leviers mais c’est pour nous le premier qu’on voit pour essayer d’inverser cette tendance, de répondre aux enjeux de construction du secteur, sans sacrifier à la qualité.
Être aménageur aujourd’hui, c’est ça le cœur de métier : créer des alliances ?
Ma prévision, c’est qu’en 2050, pour des raisons d’abord démographiques, on arrêtera de construire en France. Ce qui veut dire que nous, aménageurs, on a 25 ans pour nous transformer radicalement. Alors soit pour constater qu’on ne sert plus à rien. Dans ce cas il faut fermer. Soit on considère qu’on sert encore à quelque chose et pour moi l’aménagement aujourd’hui c’est surtout accompagner les collectivités dans la mise en œuvre d’un projet politique de transformation physique de leur territoire. Ça veut dire inventer des nouveaux métiers et pour certains d’entre eux réinventer une manière de les mener en associant complètement différemment les acteurs privés et les acteurs publics. Je vais prendre deux exemples très différents.
Le premier, c’est sur le pavillonnaire. La prochaine crise, elle est démographique. Dans les cinq ans qui viennent, on aura un doublement de la population française de plus de 85 ans. Or 85 ans, c’est loin d’être neutre, c’est le seuil statistique à partir duquel il n’y a plus de capacité à rester dans son logement de façon totalement autonome. Des tissus pavillonnaires, et plus largement les grands logements, vont se vider, il y aura donc beaucoup de logements libres, qui plus est souhaités par les Français. Il y a une super opportunité pour redynamiser des villes et les quartiers entiers. Aujourd’hui hélas, à chaque fois qu’on intervient à l’ancienne sur ces tissus, on rase 5-6 maisons pour faire un collectif… Déjà ça ne correspond pas aux souhaits des Français. Donc on a détruit un habitat qui existe, qui correspond à la demande, pour créer quelque chose qui ne correspond pas à la demande et on imperméabilise les sols. Le pavillonnaire, quand il existe, il a au moins une vertu c’est qu’il y a des jardins et des îlots de fraîcheur naturels. Notre métier doit être d’accompagner ces mêmes propriétaires pour qu’eux-mêmes valorisent leur patrimoine. Exemple : ma maison s’est vidée parce que mes enfants sont grands, je peux créer un escalier extérieur pour pouvoir louer de façon indépendante mon premier étage à des étudiants. Les particuliers ne sont pas des professionnels de l’immobilier, on peut et on doit les accompagner tout en étant vigilants sur la cohérence d’ensemble de ces mutations avec le projet politique porté par les élus. Cette approche est d’ailleurs également transposable aux zones d’activités économiques.
Il y a une évolution de nos métiers qui vont vers la facilitation urbaine. L’état d’esprit est toujours le même, c’est comment est-ce qu’on accompagne un acteur privé (particulier ou entreprise) pour qu’il se rende compte de la pépite qu’il a et raisonner non pas sur de la valeur économique mais sur de la valeur d’usage.
Et le deuxième ?
C’est la coopération avec les territoires eux-mêmes. Nous avons récemment lancé une coopération foncière entre les villes d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis et Saint Dizier en Haute-Marne. À Saint Dizier le problème est que cela fait 40 ans qu’il n’y a pas de logement neuf non social produit en centre-ville. Pour un promoteur, se lancer dans une telle opération est risqué. Pour encourager les promoteurs à prendre du risque, nous jumelons la vente du terrain à Saint Dizier avec celle d’un terrain dont nous sommes propriétaire à Aubervilliers. En réalité, c’est très simple. Mais le plus intéressant n’est pas là. Je me souviens du jour où nous avons présenté l’un à l’autre les maires des deux villes, lors du MIPIM 2023. Ils se sont bien sûr partagé leurs ambitions pour leur ville, puis la discussion sur le portage a duré deux minutes, et ensuite ils ont embrayé sur les multiples opportunités de coopérations entre les deux villes autour du sport, de la musique, etc. Autant de projets qui désormais deviennent réalité. Je crois beaucoup à ces alliances entre des territoires complémentaires car très différents.