De stagiaire à CEO, Marie-Laure Leclercq de Sousa a gravi tous les échelons chez JLL, l’une des plus grandes entreprises de conseil en immobilier d’entreprise au monde. Elle dirige désormais les activités pour la France, la Belgique, le Luxembourg et l’Europe du Sud. Elle nous reçoit dans ses bureaux à Paris, 40 rue de la Boétie.
Vous avez rejoint JLL France à la fin des années 1990, qu’est-ce qui vous avait donné envie d’intégrer le secteur de l’immobilier ?
Quand on discute avec des professionnels de l’immobilier, on se rend compte que pour beaucoup, nous ne sommes pas arrivés dans ce secteur par vocation. Les enfants rêvent d’être astronautes, pompiers ou médecins… mais pas de travailler dans l’immobilier ! Pourtant, aujourd’hui, de plus en plus de jeunes rêvent de transformer le monde et de préserver l’environnement. Je n’irais pas jusqu’à dire que l’immobilier est ‘le’ secteur qui va sauver la planète mais il peut y contribuer. Et ce n’est pas rien ! Si on est intéressé par les enjeux environnementaux… mais aussi par les enjeux juridiques, sociétaux ou encore financiers, alors l’immobilier est l’un des secteurs qui permet de toucher à ces différents aspects, de rencontrer des personnes très différentes et de changer leur quotidien, de rentrer dans la stratégie des entreprises, d’être dans le concret et d’exercer sa curiosité. Je vous avouerai que pousser une porte cochère qu’on a toujours vue fermée, avoir accès à un patrimoine incroyable, c’est tout simplement passionnant. Cela fait 20 ans que je suis dans ce secteur et j’ai l’impression d’être arrivée hier.
Qu’est-ce que cette nouvelle génération va apporter au secteur ?
Cette génération a des super pouvoirs. Des super pouvoirs d’ouverture sur le monde. L’accès au web, à la culture, aux études… C’est un bouleversement par rapport à ce que ma génération a connu. La plus grande richesse de cette génération, c’est d’avoir le choix. Quand ces jeunes ont envie et qu’ils utilisent les outils qui sont à leur disposition à bon escient, leurs super pouvoirs, ils les déclenchent partout !
Chez JLL justement, vous avez un parcours dédié pour les jeunes ?
Nous avons mis en place un parcours de formation continu, donc tous les collaborateurs de l’entreprise, et pas seulement les jeunes, bénéficient de formations sur des thématiques fortes comme le développement durable appliqué à l’immobilier, avec la mise en place d’un « Sustainability Pass », ou encore sur les nouvelles technologies avec le « Tech Pass ». J’ai lancé la JLL Academy qui a permis la mise en place d’une université intégrée dans l’entreprise où les seniors apprennent aux juniors, partagent leurs connaissances, avec des présentations, des réunions, du mentorat au quotidien. C’est la possibilité de se former, grâce à ses collègues, sur un autre métier, une expertise, et surtout d’ouvrir son esprit et le champ des possibles. Par ailleurs, nous avons la chance d’être un groupe international qui compte près de 110 000 collaborateurs sur tous les continents, nous encourageons donc naturellement les mobilités internationales.
En août 2023, JLL a annoncé le lancement du premier modèle d’IA générative dédié à l’immobilier commercial. Quelle est votre vision de l’IA et de l’innovation ?
Nous avons embrassé l’intelligence artificielle il y a maintenant presque deux ans en créant notre propre GPT, c’est « JLL GPT ». Notre richesse, ce sont les données de nos clients mais aussi ce que nous devons préserver par-dessus tout. Il était donc hors de question de mettre des informations sur n’importe quelle IA ou plateforme ouverte. Nous avons créé notre outil qui se nourrit lui-même. Les 110 000 collaborateurs de l’entreprise ont accès à JLL GPT qui a été créé par nos équipes en Californie. L’intelligence artificielle est conçue pour aider nos collaborateurs, pour leur faire gagner du temps de qualité. Mon rêve, ce serait que chacun de nos collaborateurs gagne 20% de son temps sur des tâches chronophages et sans valeur ajoutée pour se former, continuer à se développer et échanger avec ses collègues.
Vous avez une vision « européenne » de l’immobilier, quelles sont les différences en matière de culture, de pratiques et d’attrait pour le secteur avec d’autres pays voisins ?
JLL est implantée sur tous les continents et est organisée par ligne de métier. Notre siège mondial est à Chicago. De par mes responsabilités (France, Belgique, Luxembourg, Europe du Sud), je suis confrontée à la diversité des marchés et des cultures. Et expliquer la diversité de l’Europe, c’est un challenge ! C’est expliquer les différences culturelles, le global et le local. Pour faire de l’immobilier en Europe, il faut beaucoup d’écoute pour comprendre les autres. Le Français veut aller vite, ce qui peut heurter la sensibilité des Anglais, frustrer les Allemands qui aiment avoir un plus vaste champ des possibles… Je caricature un peu mais les différences sont importantes.
La richesse d’un groupe international, c’est d’abord d’avoir des collaborateurs compétents et soudés. En en cela, mon expérience de plus de 25 ans au sein de JLL illustre bien cette valeur clef qu’est le travail d’équipe. A titre d’exemple, j’ai été confrontée à un sujet managérial cet été. À minuit, j’ai appelé mes pairs dans tous les pays d’Europe pour trouver ensemble la meilleure solution. Le lendemain midi, on était tous dans une capitale européenne. J’avais le meilleur expert en juridique, en finance, etc… Et ça, c’est quelque chose qui est exceptionnel.
Les crises successives dans le secteur depuis les subprimes sont-elles une tâche pour l’image du secteur ou au contraire, une occasion de montrer que l’immobilier sait se réinventer ?
En France, l’immobilier n’a pas forcément une bonne image parce qu’il est associé à des métiers transactionnels. Mon souhait serait, qu’à la fin de ma carrière, nos métiers soient mieux perçus. Aujourd’hui, on revient aux fondamentaux : l’humain et la ville.
Qu’est-ce que vous avez appris au début de votre carrière qui vous sert encore aujourd’hui ?
L’humilité. Dans nos métiers, la valeur ajoutée, c’est le service au client : s’effacer à leur profit et au service de leurs projets. J’ai appris à me regarder dans la glace tous les matins en me disant que j’allais m’amuser. Et effectivement, lorsque vous êtes passionné par ce métier, vous pouvez beaucoup vous amuser et beaucoup travailler. Et en l’occurrence, j’ai beaucoup travaillé et j’ai été accompagnée par ma famille pour le faire. J’ai appris que pour pouvoir tout faire, il faut gérer ses priorités, savoir où est l’essentiel et surtout ne jamais oublier ce qui vous anime au quotidien.